jeudi 26 janvier 2012

Akutagawa Ryûnosuke - Souvenirs


1 – Poussière

Mon premier souvenir remonte, en comptant à l’ancienne[1], à mes quatre ans. Même si ce n’est pas un souvenir très important. C’était juste un charpentier, juché sur une échelle ou autre chose, qui frappait le plafond avec un marteau, et du plafond tombaient des nuages de poussière – c’est cette scène dont je me souviens.
C’était au moment où l’on détruisait l’ancienne maison où habitaient depuis Edo[2] mon grand-père et mon père. A l’automne de mes quatre ans, en comptant à l’ancienne, j’emménageai dans une maison neuve. Cette maison a donc du être détruite au printemps, peut-être tardif, de cette année.

2 – Stèle funéraire

Sur l’autel bouddhique de ma maison, devant les petites stèles funéraires de mes grands-parents, et devant celle de mon oncle, il y a avait une stèle plus grande. C’était celle de mes arrières grands-parents, décédés pendant l’ère Tenpô[3]. Depuis l’instant où ma conscience s’est éveillée, cette stèle recouverte de feuille d’or noircie m’inspirait de la crainte.
D’après ce que j’entendis par la suite, bien que mon arrière grand-père fut bonze[4] chez un seigneur, il vendit ses deux filles comme courtisanes. De plus, mon arrière grand-père et mon arrière grand-mère étant souvent absents de chez eux, lorsqu’il n’y avait plus rien à brûler à la maison, ils prenaient une petite hache et saccageaient la véranda pour en faire du bois de chauffage.

3 – Arbres du jardin

Dans le jardin de ma nouvelle maison étaient plantés du houx, des kaya[5], des mokkoku[6], des kakuremino[7], des chimonanthes, des aralias[8] et, des pins à cinq aiguilles. Parmi ces arbres, j’aimais tout particulièrement un des chimonanthes. Mais je ressentais à l’endroit des seuls pins une sorte de malaise.


[1] C’est-à-dire qu’un enfant, quand il naît, a déjà un an.
[2] Ere d’Edo : 1600 - 1868
[3] 1830-1844
[4] 奥坊主 : titre sous Edo, qui désigne un bonze chargé de la réception et du service du thé chez un shogun ou un seigneur.
[5] Torreya nucifera,  conifère à croissance lente originaire du Japon méridional, dont le bois est utilisé pour la fabrication des plateaux de go.
[6] Ternstroemia gymnanthera
[7] littéralement, « manteau d’invisibilité », nom scientifique : dendropanax
[8] plus précisément, aralia japonais, ou faux aralia, nom scientifique : fatsia japonica.

jeudi 19 janvier 2012

Du sens du suffixe « isme » - Akutagawa Ryûnosuke


Rien de tel qu'un peu de théorie pour ouvrir l'année.


AKUTAGAWA Ryûnosuke
Du sens du suffixe « isme »
(depuis Aozora Bunko)

L’ajout de « isme » est-il vraiment nécessaire ? Cette question m’a été posée, mais à dire vrai, je n’ai malheureusement pas lu la thèse de Monsieur Iwano Hōmei, qui semble y être profondément liée. Donc ma réponse risque de ne pas correspondre à ce qu’en attendent les rédacteurs ou les lecteurs de Shinchō.
A dire vrai je ne saisis pas très bien la nature de ce problème. Le sens de « isme » et le sens de «nécessaire », quand j’y pense, me semblent biaisés en quelque part. Et  même si je tente une explication brève à partir du savoir commun, qu’est-ce que l’ajout de « isme » ? Cette question me semble aussi complexe en bien des endroits.
Et en ce moment, doit-on tous éprouver le besoin d’être naturalistes ou romantiques ? Si l’on en considère le sens commun, il est bien évident que non. Ou plutôt, il faut dire que c’est une conversation qui ne peut avoir lieu. Originellement, ce « isme » a été inventé pour des questions de convenance par les critiques, il n’y a donc pas de raison qu’il puisse recouvrir l’entièreté des inclinations de nos sentiments ou de notre pensée. Il n’est peut être pas nécessaire de décrire en quoi il ne peut tout recouvrir. (De plus, s’il ne peut tout recouvrir, il y a des cas où, quand il exprime une part remarquable, le critique est autorisé à coller cette étiquette en « isme ». Puis il y a des cas où il n’y est pas autorisé, où ce n’est pas bienvenu. Cela a été débattu il me semble par Monsieur Ikuta Chōkō.)
Et si l’on renverse le sens de ce « isme », et qu’on donne le nom d’un « isme » à l’entière inclination de son activité intérieure, ce problème disparaît avant même qu’on ait sollicité sa résolution. Dans ce cas, le fait de coller un nom à ce « isme », et d’en faire son enseigne, on ne peut évidemment pas dire que ce soit nécessaire.
Et si, enfin, l’on tente de décrypter  le « isme » comme l’argument principal d’une idéologie quelconque, à ce cas-ci également on doit pouvoir répondre la même chose que ci-dessus.
Simplement, si l’on ajoute en quelque part au sens du terme de « nécessité » un côté « pratique » pour soi et les autres tout à la fois, on peut probablement dire quelque chose de complètement différent. Dans ce cas, il vaudrait sans doute mieux que je me taise. Puisque, pour conclure, moi, qui n’ai aucun lien avec une quelconque revendication de « isme », je ne fais pas clairement ressortir son côté pratique.

Mai 1918