dimanche 19 janvier 2014

Jeu de kappa

Dans un charmant café de Koenji (où, fait rare, les chiens sont acceptés), il y avait une petite table couverte de jeux de société tout près de là où nous avions pris place :




En regardant de plus près, un jeu de cartes dessinés par Mizuki Shigeru retient notre attention... qui contient un de nos amis palmés de vert (en bas à droite du groupe de six cartes sur la gauche de la photo) :



Le jeu de cartes en lui-même, appelé hana-asobi sur la boîte, mais qu'on désigne plus couramment sous le nom de hana-fuda est relativement ancien. Les façons de jouer sont multiples et dépendent du nombre de joueurs; nous avons essayé, à deux, quelque chose d'assez proche du jeu des sept familles, mais nous avons dû nous arrêter rapidement à cause du nombre de cartes qui rendait la chose un peu fastidieuse (une "famille" pour chaque mois de l'année est constituée de 4 cartes - pour un total donc de 48 cartes dont le dessin ne fait pas toujours apparaître l'appartenance à tel ou tel mois). 



Le café en lui-même est d'ailleurs plutôt sympathique - les consommations y sont un peu plus chères qu'ailleurs mais il est ouvert une bonne partie de la nuit.
Dogberry - Koenji Kita, Kôshin doori
https://www.facebook.com/dogberry.jp (lun - jeu: 11:30 - 03:00 ven: 18:00 - 04:30 sam - dim: 11:30 - 04:30)


dimanche 22 avril 2012

Laissé à l'abandon par la force des choses suite à d'autres projets qui finissent de prendre forme, ce petit espace de notes et de traductions littéraires diverses ne quitte cependant pas mon esprit. Bientôt, un petit portrait de Kitahara Hakushû, et d'autres poètes de Taishô suivront, je l'espère. En attendant, la bande-annonce de cette excellent "documentaire" sur Dazai Osamu, "La Vie murmurée", sous forme de promenade nonchalante tokyoïte prétexte à de belles et étranges rencontres, que j'ai eu le plaisir de chroniquer il y a déjà quelques temps.

jeudi 26 janvier 2012

Akutagawa Ryûnosuke - Souvenirs


1 – Poussière

Mon premier souvenir remonte, en comptant à l’ancienne[1], à mes quatre ans. Même si ce n’est pas un souvenir très important. C’était juste un charpentier, juché sur une échelle ou autre chose, qui frappait le plafond avec un marteau, et du plafond tombaient des nuages de poussière – c’est cette scène dont je me souviens.
C’était au moment où l’on détruisait l’ancienne maison où habitaient depuis Edo[2] mon grand-père et mon père. A l’automne de mes quatre ans, en comptant à l’ancienne, j’emménageai dans une maison neuve. Cette maison a donc du être détruite au printemps, peut-être tardif, de cette année.

2 – Stèle funéraire

Sur l’autel bouddhique de ma maison, devant les petites stèles funéraires de mes grands-parents, et devant celle de mon oncle, il y a avait une stèle plus grande. C’était celle de mes arrières grands-parents, décédés pendant l’ère Tenpô[3]. Depuis l’instant où ma conscience s’est éveillée, cette stèle recouverte de feuille d’or noircie m’inspirait de la crainte.
D’après ce que j’entendis par la suite, bien que mon arrière grand-père fut bonze[4] chez un seigneur, il vendit ses deux filles comme courtisanes. De plus, mon arrière grand-père et mon arrière grand-mère étant souvent absents de chez eux, lorsqu’il n’y avait plus rien à brûler à la maison, ils prenaient une petite hache et saccageaient la véranda pour en faire du bois de chauffage.

3 – Arbres du jardin

Dans le jardin de ma nouvelle maison étaient plantés du houx, des kaya[5], des mokkoku[6], des kakuremino[7], des chimonanthes, des aralias[8] et, des pins à cinq aiguilles. Parmi ces arbres, j’aimais tout particulièrement un des chimonanthes. Mais je ressentais à l’endroit des seuls pins une sorte de malaise.


[1] C’est-à-dire qu’un enfant, quand il naît, a déjà un an.
[2] Ere d’Edo : 1600 - 1868
[3] 1830-1844
[4] 奥坊主 : titre sous Edo, qui désigne un bonze chargé de la réception et du service du thé chez un shogun ou un seigneur.
[5] Torreya nucifera,  conifère à croissance lente originaire du Japon méridional, dont le bois est utilisé pour la fabrication des plateaux de go.
[6] Ternstroemia gymnanthera
[7] littéralement, « manteau d’invisibilité », nom scientifique : dendropanax
[8] plus précisément, aralia japonais, ou faux aralia, nom scientifique : fatsia japonica.

jeudi 19 janvier 2012

Du sens du suffixe « isme » - Akutagawa Ryûnosuke


Rien de tel qu'un peu de théorie pour ouvrir l'année.


AKUTAGAWA Ryûnosuke
Du sens du suffixe « isme »
(depuis Aozora Bunko)

L’ajout de « isme » est-il vraiment nécessaire ? Cette question m’a été posée, mais à dire vrai, je n’ai malheureusement pas lu la thèse de Monsieur Iwano Hōmei, qui semble y être profondément liée. Donc ma réponse risque de ne pas correspondre à ce qu’en attendent les rédacteurs ou les lecteurs de Shinchō.
A dire vrai je ne saisis pas très bien la nature de ce problème. Le sens de « isme » et le sens de «nécessaire », quand j’y pense, me semblent biaisés en quelque part. Et  même si je tente une explication brève à partir du savoir commun, qu’est-ce que l’ajout de « isme » ? Cette question me semble aussi complexe en bien des endroits.
Et en ce moment, doit-on tous éprouver le besoin d’être naturalistes ou romantiques ? Si l’on en considère le sens commun, il est bien évident que non. Ou plutôt, il faut dire que c’est une conversation qui ne peut avoir lieu. Originellement, ce « isme » a été inventé pour des questions de convenance par les critiques, il n’y a donc pas de raison qu’il puisse recouvrir l’entièreté des inclinations de nos sentiments ou de notre pensée. Il n’est peut être pas nécessaire de décrire en quoi il ne peut tout recouvrir. (De plus, s’il ne peut tout recouvrir, il y a des cas où, quand il exprime une part remarquable, le critique est autorisé à coller cette étiquette en « isme ». Puis il y a des cas où il n’y est pas autorisé, où ce n’est pas bienvenu. Cela a été débattu il me semble par Monsieur Ikuta Chōkō.)
Et si l’on renverse le sens de ce « isme », et qu’on donne le nom d’un « isme » à l’entière inclination de son activité intérieure, ce problème disparaît avant même qu’on ait sollicité sa résolution. Dans ce cas, le fait de coller un nom à ce « isme », et d’en faire son enseigne, on ne peut évidemment pas dire que ce soit nécessaire.
Et si, enfin, l’on tente de décrypter  le « isme » comme l’argument principal d’une idéologie quelconque, à ce cas-ci également on doit pouvoir répondre la même chose que ci-dessus.
Simplement, si l’on ajoute en quelque part au sens du terme de « nécessité » un côté « pratique » pour soi et les autres tout à la fois, on peut probablement dire quelque chose de complètement différent. Dans ce cas, il vaudrait sans doute mieux que je me taise. Puisque, pour conclure, moi, qui n’ai aucun lien avec une quelconque revendication de « isme », je ne fais pas clairement ressortir son côté pratique.

Mai 1918

mardi 27 décembre 2011

Portrait #2 : Nakahara Chûya

(29.04.1907 - 22.10.1937)



Poète (haiku, tanka), né à Yamaguchi-ken, traducteur de littérature française, en particulier de Rimbaud et Gide. Il commence à écrire à la mort de son petit frère, qui succombe à une maladie en 1915. Publié dans des magazines en 1920, son intérêt pour la littérature prend un nouvel élan lorsqu'il lit "Les poèmes de Shinkichi le Dadaïste" en mars 1923. En décembre de la même année, il rencontre Hasegawa Yasuko, actrice, avec laquelle il s'installe l'année suivante. Suite à sa rencontre avec le peintre et poète Tominaga Tarô (1901-1925), il commence à s'intéresser à la poésie française. Sa propre création poétique restera marquée par les influences dadaïstes et symbolistes. Il monte à Tokyo en 1925 avec Yasuko, qui le quittera pour Kobayashi Hideo (1902-1983, qui deviendra l'éminent critique littéraire que l'on sait). En décembre 1927 commence sa collaboration avec le musicien Moroi Saburô (1903-1977).

Il participe brièvement à des magazines littéraires (dont Hakuchi-gun, Les Idiots, et Kigen, Ere), passe à un cheveu de travailler pour la radio NHK, poursuit le français au sein de différentes institutions (Cours préparatoire de Waseda, Athénée Français, Langues étrangères de Tokyo) et traduit Rimbaud - ses poèmes de jeunesse, sa correspondance avec Verlaine...

Traumatisé par la mort de son premier fils né de son mariage avec une parente éloignée, il devient fragile psychologiquement, et décède en 1937 d'une méningite tuberculeuse. Il a l'alcool mauvais, et s'il fait partie du groupe d'écrivains de Dazai Osamu, ils seront toujours en mauvais termes. Considéré naguère par ses compagnons de littérature comme le parasite de Dazai, il est aujourd'hui placé à l'égal d'Hagiwara Sakutarô ou Kitahara Hakushû. Ce, en grande partie grâce à Kobayashi Hideo ; si ce dernier lui a volé sa maîtresse, ils resteront toujours amis, et c'est à lui que Chûya confiera avant sa mort le second volume de poèmes qu'il a compilé lui-même après Yagi no uta (Poèmes de la chèvre), qui sera intitulé Arishihi no uta (Poèmes des jours passés). La postérité de son oeuvre doit également beaucoup à Ôka Shôhei qui éditera ses oeuvres complètes.

On doit également à Tomokawa Kazuki la mise en musique de ses poèmes (et à la Blogothèque de très beaux Concerts à Emporter dudit Tomokawa, ainsi qu'un film documentaire, La Faute des Fleurs.)














Extrait de Arishihi no uta 




La Lumière de la lune - 1


La lumière de la lune brille
La lumière de la lune brille


Dans le buisson au coin du jardin
se cache le petit garçon qui est mort


La lumière de la lune brille
La lumière de la lune brille


Ho, Tircis et Amante
surgissent de la prairie


Je viens avec une guitare
mais je suis sur le point de la jeter


La lumière de la lune brille
La lumière de la lune brille


La Lumière de la lune - 2


Oh, Tircis et Amante
Viennent s'ébattre dans le jardin


Ce soir est un vrai soir de printemps
Il y a même une brume chaude et humide


Je suis sur le banc du jardin
Baigné dans la lumière de la lune


La guitare est à côté, et pourtant,
Pas un instant il n'est probable que j'en joue


En face de la prairie, il y a la forêt
Où il fait si noir, si noir


Oh! Pendant que Tircis et Amante
Conversent à voix basse


Tel un insecte, l'enfant qui est mort
est tapi dans la forêt




(Depuis Aozora bunko :

月の光 その一



月の光が照つてゐた
月の光が照つてゐた

  お庭の隅の草叢くさむら
  隠れてゐるのは死んだ児だ

月の光が照つてゐた
月の光が照つてゐた

  おや、チルシスとアマントが
  芝生の上に出て来てる

ギタアを持つては来てゐるが
おつぽり出してあるばかり

  月の光が照つてゐた
  月の光が照つてゐた


月の光 その二



おゝチルシスとアマントが
庭に出て来て遊んでる

ほんに今夜は春のよひ
なまあつたかいもやもある

月の光に照らされて
庭のベンチの上にゐる

ギタアがそばにはあるけれど
いつかう弾き出しさうもない

芝生のむかふは森でして
とても黒々してゐます

おゝチルシスとアマントが
こそこそ話してゐる間

森の中では死んだ子が
蛍のやうにしやがんでる)


Liens :

[edit] : un volume de (très belles) traductions par Yves-Marie Allioux est paru chez Philippe Picquier. Je reste par contre beaucoup plus circonspecte sur les choix graphiques de l'éditeur en question sur ce volume en particulier :/






mercredi 21 décembre 2011

Uchida Hyakken, enfin traduit en français

C'est l'auteur de l'excellente traduction de Dogra Magra, Patrick Honnoré, qui nous offre cette fois-ci en français une partie de l'oeuvre mystérieuse et singulière d'Uchida Hyakken (récits extraits de Meido - Realm of the Dead et Ryojun Nyûjôshiki - Triumphant March into Port Arthur, comme la traduction anglaise de Di Nitto, bien que le choix soit plus restreint). Un petit livre à la couverture sobre et élégante, une préface complète et intelligente, et des notes limitées au strict minimum et rejetées en fin de livre pour mieux apprécier le texte. Joyeux Noël :)




lundi 17 octobre 2011

Les fausses lunettes



Murayama Tomoyoshi se marie en 1924 avec Okauchi Kazuko. Elle écrit déjà des histoires pour les enfants avant son mariage, et ne se contente pas uniquement de partager sa coupe de cheveux avec son mari, puisqu'ils créent ensemble quelques uns des premiers dessins animés pour enfant au Japon (elle écrit, il dessine).



Les fausses lunettes (おもちゃのめがね)- Murayama Kazuko (1903 - 1946)


                                   




Il était une fois une vieille femme. Comme ses yeux étaient devenus très faibles, elle voulut une paire de lunettes, et mettant ses économies dans son portefeuille, elle alla chez le lunetier. Elle dit :
« Monsieur le lunetier, je vous donne tout l’argent qui est dans ce porte-monnaie, alors vendez moi vos meilleures lunettes. » Le lunetier regarda dans le porte-monnaie, et n’y trouvant que 20 pièces de cuivre de 5 rin[1], malgré sa déception, se dit que 10 sen, c'était toujours dix sen, et que n'en faire pas profit c'était ne rien gagner du tout :
« Madame. Il y a tout juste dix sen. » et disant ces mots lui donna de fausses lunettes. La vieille femme, toute heureuse, les prit et rentra chez elle.
Le soir, elle reçut le journal, chaussa ses lunettes et commença à lire. Mais elle ne pouvait distinguer un seul caractère. Fatiguée d’écarquiller les yeux comme des soucoupes, elle s’endormit. Puis elle oublia tout à fait cette histoire de lunettes.

Un mois passa, et la vieille femme s’apercevant de nouveau que ses yeux étaient faibles, rassembla ses économies, alla chez le lunetier. Mais évidemment il y avait tout juste vingt pièces de cuivre de 5 rin, et le lunetier comme auparavant lui donna de fausses lunettes. La vieille femme les chaussa, mais ne pouvait distinguer un seul caractère, et oublia sur le champ cette histoire de lunettes. Cela se répéta de mois en mois, et finalement la maison de la vieille femme fut pleine de lunettes factices. A tel point qu’elle ne pouvait plus dormir chez elle la nuit. La vieille femme, triste, se mit à pleurer.

Les fausses lunettes virent pleurer la vieille femme, et la prirent en pitié, et courbèrent leur corps, rétrécirent leurs mains, de manière à devenir toutes petites mais rien n’y fit.
La vieille femme les vit et cela lui fendit le cœur. Puis, finalement, elle prit sa résolution et décida de les échanger au marchand de jouet du quartier contre 5 yens et 50 sens.
Avec ses 5 yens et 50 sens, elle alla encore une fois chez le lunetier. Il compta l’argent, et lui donna cette fois-ci de vraies lunettes. La vieille femme n’eut plus besoin d’aller acheter des lunettes, et dans sa maison désormais spacieuse, put enfin tranquillement lire le journal.


[1] 0,001 yens.
Texte original  Aozora Bunko