vendredi 22 juillet 2011

Yūshūkan (遊就館)1 ー Uchida Hyakken (1934)


 Première partie d'un premier jet de traduction du japonais au français d'une nouvelle d'Uchida Hyakken, parue en 1934 dans le recueil 『旅順入城式』(Triomphant march into Port Arthur, trad. Rachel Di Nitto).


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Yūshūkan[1]

La pluie, qui tombait sans discontinuer depuis le début de l’après-midi, soudain cessa.
Mais le voisinage était devenu plus sombre qu’auparavant, et les nuages lourds étaient si bas qu’ils semblaient reposer sur l’auvent de la maison.  Tout à coup dans le couloir une voix forte se fit entendre ; je sortis donc voir et sur la terre noire de l’entrée[2] se dressait un lieutenant artilleur étrange.

« Le professeur Noda est-il ici ? »
Le lieutenant, en disant cela, inclina la tête.
Puis, il enleva ses bottes et entra dans la maison.
« De quoi peut-il bien s’agir… »
essayai-je de demander. Le visage du lieutenant était jaune, tirant sur le verdâtre, et le pourtour de sa joue brillait comme s’il était humide.
« Mon bateau a été déplacé à Tokyo, je suis donc venu vous voir »
Mais je ne me souvenais pas du visage de ce lieutenant.
« Tokyo a bien changé, hein. Ce quartier surtout a l’air complètement différent. Vous portez-vous toujours bien, Professeur ? »
« Bien merci »
Je répondis de manière évasive. Le lieutenant, dont les mains jaunes bougeaient sans cesse, semblait les promener partout ci et là.
« Je vous remercie encore de votre bienveillance. A dire vrai, je vous ai croisé hier à Kudanzaka[3], c’est pour cela que je suis venu ».
Surpris, je regardais le visage du lieutenant. Hier, je n’étais pas sorti de la journée. Mais, d’entendre parler de Kudanzaka, j’éprouvai un malaise proche de l’effroi.
Le lieutenant me fixait sans fin de son regard froid. Je finis par sentir mon corps se paralyser, et fus pris d’un mauvais pressentiment.
A ce moment, j’entendis d’un endroit lointain une voix chantant une chanson. Mais je ne pus dire s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme. Peut-être même que ce n’était pas une chanson, mais plutôt quelqu’un qui pleurait.
Alors l’expression du lieutenant sembla changer progressivement. Son front étroit était devenu blême, et le lustre de ses joues avait disparu comme s’il avait été essuyé.
Soudain je pensai élever la voix et prendre un air terrible, mais ma gorge était sèche et je ne pus ouvrir la bouche.
Quand je m'aperçus combien j'étais effrayé par le bruit terrible de la pluie, j'étais recouvert de sueur du visage jusqu'au cou, comme si on me lavait. Quelque part, on entendait le bruit du clapotis de l'eau qui fuyait par le toit. Le lieutenant n'était plus là. Mais restait le sentiment d'une présence. La silhouette épouvantable du lieutenant se tenant soudain debout devant moi m'apparaît aujourd'hui encore comme si elle était devant mes yeux.


[1] Musée ouvert en 1882 dans l’enceinte du temple Yasukuni, à Tokyo, et qui rassemble tout ce qui a trait à la guerre (documents sur les soldats tombés sur le champ de bataille, autres données militaires, uniformes, matériel…)
[2] 土間 : entrée d’une maison japonaise en terre battue. On accède à l’intérieur proprement dit à l’aide d’une marche.
[3] Montée qui mène au Yasukuni.

PS : Taisho se termine bien en 1927. Mais le ton de cette nouvelle ressortit pour une large part à l'esthétique mise en place par Meido (Le Royaume des Morts) écrit dans les années 20. 

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