mercredi 28 septembre 2011

Yūshūkan (遊就館)4



Toute la nuit le vent fit rage. Le bruit, comme si on frappait les cadres des fenêtres, ne cessait pas.
Tout en me sentant par intermittence menacé par ce bruit, je continuais de sommeiller à demi.
Subitement, je fus réveillé en entendant filtrer par la bouche de ma femme comme un sanglot animal. Tandis que ses paupières frémissait, de l’espace de sa bouche entrouverte se faisait entendre par bribes un son malsain.
Perdant contenance, j’entrepris de réveiller ma femme.
À deux, trois reprises, j’appelais : « Hé, hé ! ».
Ma femme semblait me répondre à travers cette voix animale.
Je m’affolais de plus en plus, et voulut lui faire ouvrir les yeux. J’allongeai une main et secouai son épaule.
À cet instant précis, elle poussa un cri de frayeur d’une voix d’outre-tombe et ouvrit les yeux.
« Qu’est-ce que j’ai eu peur… »
Ma femme, tout en disant cela, poussa un profond soupir et se mit à trembler de tout ses membres.
« Qu’y a-t-il ? », lui demandai-je. Moi aussi, mon corps tout entier semblait frissonner de peur.
« Ce rêve était trop effrayant, je ne supporterai d’en parler. »
« Ce genre de mauvais rêves, il vaut bien mieux finir par les raconter, voyons ».
« Mais c’était vraiment trop bizarre. On avait couché un cadavre à côté de moi. »
« Le cadavre de qui ? »
« Ça, je n’en sais rien. Je n’ai pas reconnu son visage, ni rien, mais c’était un cadavre imposant. »
« C’était ça, ton cauchemar ? »
« Non, pas seulement, après un moment, c’est devenu horrible ».
Elle frottait son visage du plat de ses mains.
« Après un moment, le cadavre a semblé bougé légèrement. On aurait dit qu’il se tournait vers moi. Puis alors que je le regardais, il s'est mis progressivement à remuer, et comme il allongeait sa main vers moi, j’ai eu peur et me suis sentie oppressée, et ce doit être à ce moment là que j’ai crié. »
« Mais si c’est ça, pourquoi as-tu crié ? »
Alors que je l’écoutai, je me sentis soudain mal à l’aise.
« Hé bien, je pensais fuir, et je me tordais sur moi-même, mais mon corps ne bougeait pas, et c’est donc pour ça que j’ai crié de toutes mes forces. Ce faisant, le cadavre commençait à se relever, et à se pencher vers moi, puis il a allongé sa main, c’était l’horreur. »
« Que se passait-il ? »
« Quand j’ai compris qu’il saisissait mon épaule, j’ai crié au même moment, et puis mes yeux sont ouverts, et voilà. »
Ma femme, d’un air soulagé, se releva légèrement. Incidemment, elle regarda mon visage et, choquée, me dit :
« Mais, tu es tout pâle. Que t’arrive-t-il ? »

lundi 26 septembre 2011

Yūshūkan (遊就館)3-2



Puis, soudain, le lieutenant arrêta de danser, et s’assit devant moi. Il étendit ses mains jaunes, faisant mime de me saisir le cou.
« Enfin, enfin… », dit la geisha, et elle repoussa ces mains.  « Konririyūnikikurage , rentaiki ha hashigodan, oyoshinasai yo »
En disant cela, elle prit une pose théâtrale, mais je n'y compris rien.
Ensuite, je bus, je ne me souvenais plus combien de verres. Au fond du jardin sombre, apparaissaient ci et là de petites lueurs vives.
La geisha semblait devenir de plus en plus belle. Mais quand je la vis se lever, elle me parut étrangement grande, et ses cheveux semblaient toucher le plafond.
Kimura, qui depuis tout à l’heure était resté assis, courba la tête et s’affala sur le sol.
« Hé, hé ! » appela soudain le lieutenant d’une voix effroyable. Les épaules de Kimura tremblaient convulsivement.
« Hé, hé ! » dit à nouveau le lieutenant.
Kimura se redressa raide comme un bâton. Son visage était livide.
Le lieutenant se tourna tout à coup vers moi.
« Professeur », dit-il. « Je viens vous accueillir ».
La geisha se leva précipitamment. Puis elle agrippa mon épaule et m’entraîna hors du salon.
La voiture dans laquelle on me fit monter roulait au-dessus d’une rivière sombre. Sur l’eau noirâtre, ça et là, de toutes parts, apparaissaient de petites lueurs vives pour disparaître aussitôt.

mercredi 31 août 2011

Gabadon! - ガヴァドン!


Parmi le peu de Ultraman réalisés par Jissôji Akio que j'ai eu la chance de regarder, un m'a particulièrement marquée - et pour cause : il met en scène un kaijû qui, dessiné par un enfant sur un gros tuyau en béton, se matérialise et terrorrise la ville... ou pas. Il s'agit en effet d'un triangle tout bête avec un oeil, qui devient en trois dimensions une sorte de dauphin blanc lourdeau, somnolent et mal dégrossi dont le charme des couinements n'a d'égal que celui de sa plainte d'éléphant baryton qui suit juste derrière. Petit résumé succinct de l'épisode en images.




Dessin de Gabadon par Jissôji lui-même (vendu sous forme de carte postale au musée de Kawasaki)



Le bonus étant cette photo trouvée par hasard, provenant d'un salon de thé malheureusement non identifié - Gabadon fait wagashi, fourré au haricots rouges !


samedi 30 juillet 2011

Yūshūkan (遊就館)3-1



Kimura Shin’chi, qui partait bientôt rejoindre son poste dans une école de filles en campagne, décida de nous servir un verre.
Comme c’est lui qui nous avait guidé, nous étions entré dans un restaurant au fond d’une ruelle étroite d’un petit quartier tout proche de Kudanzaka qu’il ne me semblait pas connaître jusqu’à maintenant.
Je fus aussitôt ivre.
Kimura lui aussi, le visage rouge, ôta ses lunettes.
« Ich ging einmal spazieren, je peux bien me laisser aller un peu. Hum, hein quoi. Mit einem schönen Jungen. »[1]
D’un drôle de façon, il semblait vouloir se mettre debout.  « D’un coup, ça s’est fini.  Heu, heu j’ai oublié bien sûr »
« Ha, alors » Je voulus répondre l’air sûr de moi. « Quand pars-tu ? »
« Le 29. Nous sommes le 7, donc si on enlève un jour, cela fait après demain hein. »
« C’est rapide ! »
« Non pas vraiment … »
« Bien sûr que si ! »
« Bien sûr que non ! »
« Ca a l’air rapide quand même … »
« Non c’est trop lent ! »
Il changea brusquement de visage et se leva en se tournant vers moi.
A ce moment, la porte coulissante s’ouvrit, laissant passer le lieutenant artilleur. Il passa devant moi d’un air décidé, et s’assit à la place d’honneur. Puis il se tourna vers moi et me salua.
« Puis-je me joindre à vous ? 
Le lieutenant, tout en me servant rapidement, regardait longuement Kimura.
« Hé, Kimura ! » dis-je. Ma voix était si forte qu’elle me surprit moi-même. « Ce lieutenant est bizarre, hein »
« Professeur Noda » m’appela le lieutenant d’une voix douce. « Ce n’est pas une chose à dire. Je voulais vous rencontrer aujourd’hui, je peux vous proposer un verre ? »
Puis, après m’avoir tendu une coupe, sa main s’agita étrangement. Cette main était complètement jaune. « Monsieur Noda » cria cette fois-ci Kimura. « C’est bien agréable, puisque je quitte Tokyo désormais… C’est tout même bien agréable… »
« Allons-y ! Buvons ! » dit le lieutenant en se levant. « En l’honneur de votre départ, ce soir, c’est moi qui paie ! »
Dit-il, à ce que je crus comprendre.
Puis nous finîmes par nous lever tous trois.
Nous montâmes dans la voiture du lieutenant, et il sembla que nous roulâmes longtemps dans la pénombre du quartier. Alors que je pensais que les ombres qui s’allongeaient par la fenêtre devenaient de plus en plus imprécises, nous nous arrêtâmes soudain devant un vestibule tout éclairé.
En un instant nous eûmes devant nous un festin, et une belle geisha[2] nous versa à boire.
Le lieutenant, tout en nous regardant fixement, se leva. Puis, il se mit à chanter, marquant bizarrement le rythme du pied, tapant dans ses mains de temps à autre.
J’eus l’impression de me rappeler vaguement quelque chose, et regardai autour de moi. En deçà de la véranda grande ouverte, tout était sombre.
La chanson du lieutenant me rappela celle que j’entendis au loin un jour de pluie battante.


[1] « Je suis allé m’amuser une fois (….) avec un jeune et beau garçon ». (traduction à titre indicatif).
[2] Le texte original dit geigi (芸妓), appellation qui serait vraisemblablement d’un rang un peu inférieur à geisha – c'est-à-dire dont la valeur en tant qu’artiste serait un peu moins importante.

mardi 26 juillet 2011

Edogawa Ranpo / Ishii - Jissoji

江戸川乱歩全集:恐怖奇形人間 / Horros of Malformed Men (1969)



Un jeune médecin est enfermé contre son gré dans un institut psychiatrique, où il essuie une tentative de meurtre. Il décide de s'enfuir et part à la recherche de son passé...

Belle adaptation d'Edogawa Ranpo vue hier soir, ce film de Teruo Ishii a le mérite de mélanger avec bonheur des éléments extraits de nombreuses nouvelles (Le Lézard Noir, L'Île Panorama, Le Promeneur du grenier,...), le titre n'étant celui d'aucune nouvelle existante. Couleurs chargées, performances à l'appui, monstruosités montrées sans relâche avec quelques scènes mi-horrifiques mi-drôlatiques de sourires fous derrière des serpents, d'hommes déformés tournant nus au dessus d'une table d'opération, le film apporte un vrai regard personnel, neuf, et cohérent sur l'esthétique d'Edogawa Ranpo.  Il bénéficie également de la présence d'Hijikata Tatsumi - créateur du butô dans le rôle d'un des personnages principaux. Malgré le slogan alléchant de la bande annonce, l'érotisme est plus suggéré que montré, l'objet du film étant plutôt ses monstres, tant physiques que psychiques, et les codes du roman policier outranciers ne sont jamais qu'un cadre de pacotille laissant libre cours à l'esthétisme déviant d'Ishii qui nous livre donc un joli film de monstres scintillant comme un feu d'artifice sanglant.




Un blog en japonais analysant les rapports entre le scénario, le film existant et les nouvelles.
Midnight Eye sur le même film

La scène inspirée du Promeneur du grenier m'a rappelé l'adaptation de la nouvelle du même nom par Akio Jissôji, sortie en 1994(江戸歩物語:屋根裏の散歩者). Le film était plutôt réussi, jolies couleurs, mélodie de violon lancinante et assumant franchement son caractère érotique.





Nouvelle qui bénéficie aussi d'une autre adaptation, qui semble plus connue, de Noboru Tanaka, réalisateur de La Véritable Histoire d'Abe Sada.


lundi 25 juillet 2011

Yūshūkan (遊就館)2



....

Je marchai par grand vent en direction du Yūshūkan.
La montée de Kudanzaka se tordait sous le vent. Dans la tourmente elle donnait l’impression d’être bizarrement trop plate, lisse, à ne plus savoir où était réellement la pente.
Quand j’arrivais au Yūshūkan, devant se trouvaient des boulets de canon et des jambes de chevaux en grand nombre.
Je marchais dessus et me dépêchai d’arriver à l’entrée. Ci et là des pieds de chevaux, tournés vers le ciel, sautillaient en tremblotant. Et les endroits où je posais mes pieds s’amollissaient étrangement. Alors que je pensais que ce devait être les cuisses des chevaux, il apparut que  lorsque je foulais les boulets de canon,  mes pieds s’enfonçaient de même.
Le gardien du Yūshūkan n’avait pas d’oreilles.
J’essayai de me glisser sur le côté pour entrer, mais il n’y avait là ni sabres, ni armures, et dans l’immense vitrine qui semblait courir jusqu’au plafond, étaient allongés des cadavres vêtus d’uniformes militaires, entassés sur je ne sais combien d’étages. Comme l’odeur était par trop insupportable, alors que je songeais à rebrousser chemin,  à la porte se tenaient à présent deux gardiens sans oreilles qui grattaient frénétiquement des deux mains l’endroit de leur infirmité.
Je ne sais comment je sortis, mais je finis par m’enfuir, et lorsque j’essayai de me retourner peu après, un énorme canon, d’une longueur d’environ dix pylônes électriques reliés, et de la largeur de Kudanzaka, tourné vers le ciel d’ouest, crachait depuis sa gueule une fumée légère.


 ..... à suivre

dimanche 24 juillet 2011

靖国神社 - 御霊祭り

Du 13 au 16 juillet au Yasukuni jinja (Kudanshita, Tokyo) a eu lieu la Mitama Matsuri (御霊祭り ou traduit très très approximativement, fêtes en faveur des ancêtres). Occasion de voir donc une très belle matsuri digne de ce nom, gigantesque, pleine de monde, et de profiter de quelques attractions rares telles que l'Obake Yashiki (sorte de Maison des Horreurs) et la Misemonokoya (qui se rapproche plus ou moins de spectacles cirquesques,). Tout ça avec une touche très Shôwa, accompagné de brochettes de monjayaki, de bananes glacées au chocolat et de karumeyaki (sorte de meringue à laquelle a été ajoutée une farine légère) et de l'incontournable ramune (prononcer lamuné) dans sa bouteille de verre (sorte de limonade créée sous influence anglaise peu avant l'ère Meiji, fermée hermétiquement à l'aide d'une petite bille de verre à l'intérieur qui émet un joli son cristallin - devenu depuis la boisson symbole de toute matsuri).




Spectacle de la Misemonokoya (見世物小屋)
  assuré par les Deliciousweets (デリシャスウぃートツ)






Intérieur de l'Obake Yashiki (お化け屋敷)