mardi 4 octobre 2011

Yūshūkan (遊就館)7



Au terminus, je descendis du train, et au bout du court chemin que j’empruntais, il y avait un restaurant chinois, un grand et affreux Chinois planté devant l’entrée.
Je m’engouffrais à l’intérieur.
Sur la terre noire et moite, au fond de cette entrée trop grande, était planté, silencieux, un Chinois identique à celui que j’avais vu à l’entrée. Le visage, la taille, absolument rien ne semblait différent. Je me demandais si c’était le même homme. Mais c’était impossible.
Le Chinois, subitement, se mit à rire et s’approcha de moi. Puis il s’enquit de ma commande.
Je m’assis sur une chaise crasseuse et me mit à réfléchir.
Alors même que je croyais avoir recouvré mes esprits, ça n’avait évidemment pas duré.
Pourquoi Kimura n’était-il pas là ? Et ce qui venait de se passer avec ce Chinois était inquiétant aussi.
Les plats que j’avais commandés arrivaient un à un. Je les ai tous mangés avec délices. Comme je n’avais rien mangé depuis le matin, j’avais le ventre creux.
J’eus envie de boire de l’alcool chinois.
Sur la bouteille ornée d’une étiquette rouge posée sur l’étagère d’en face était écrit « Alcool d’écorce d’aralia »[1]. Je commandai, mais le Chinois refusa. A côté, sur une bouteille à l’étiquette bleue était écrit  « Manoir de la vache de Takahashi »[2] « Alors, celui-là conviendra » dis-je, mais il refusa de même.  Puis,
« Monsieur, vous avez laissé votre estomac crier famine depuis ce matin avant de venir ici. Vous avez sans doute rencontré une jolie donzelle… »
Je me tus.
« Mais monsieur, vous avez un souci. Ça se voit. Votre ami, il est mort non ? Comme c’est dommage. »
Je regardai le visage du Chinois. Il souriait et me toisait.


[1] Il n’est pas sûr que le nom ait vraiment une signification. Le texte indique Gokahishu(五加皮酒)
[2] Même remarque que ci-dessus. 牛荘高梁.

lundi 3 octobre 2011

Yūshūkan (遊就館)6




Comme Kimura devait partir de la gare de Tōkyō par le train express du matin, je m’y rendis  pour lui dire au revoir.
Le ciel du printemps tardif était clair, et des pigeons volaient autour de la tour de l’horloge. L’heure approchait, mais Kimura n’arrivait pas.
Autour de moi, il devrait y avoir d’autres gens venus accompagner des voyageurs, mais je ne parvenais pas à distinguer lesquels.
Il était peut-être venu par le train de banlieue[1], et était sans doute arrivé directement sur le quai. Fébrile, je passais les portes et j’allais voir du côté du train à vapeur.
Mais Kimura n’était pas là non plus.
Au milieu des nombreuses personnes venues accompagnées les voyageurs, il n’y avait pas un seul visage familier.
J’allais à deux, trois reprises, fendant la foule, de l’avant à l’arrière du train.
Il y avait quelqu’un debout devant une fenêtre, un bouquet de fleurs à la main. Mélangées au reste du bouquet, deux ou trois fleurs d’un rouge profond, comme de petites flammes, semblaient ne cesser de grandir et de rétrécir.
En un instant, le train à vapeur se mit en branle, et devant moi tout devint clair. Alors que je me penchais vers le train, je finis par y monter complètement.


[1] Le texte dit 省線電車, shôsendensha littéralement, le train géré par le ministère. Au début du vingtième siècle, il y a avait effectivement un ministère des transports qui s’occupait de certaines lignes. Le terme servirait ici à différencier les train qui partent de la capitale vers le reste du pays, et les trains qui circulent à l’intérieur de Tokyo et de sa banlieue.

dimanche 2 octobre 2011

Auto-dérision

Le 24 juillet 1927, avant de se suicider à l'aide de somnifères, Akutagawa écrit ce poème, dans la tradition japonaise du jisei no ku (辞世の句 - que l'on peut traduire légèrement par "poème d'adieu").

自嘲
水洟や鼻の先だけ暮れ残る

(Jichô
Mizu banaya hana no saki dake kurenokoru

Auto-dérision
Ah, la goutte au nez! sur le bout de mon nez seul, la marque rouge du crépuscule) 


samedi 1 octobre 2011

Yūshūkan (遊就館)5



Je tentais d’ouvrir les yeux, mais il faisait encore nuit.
Je me rendormis.
Le bruit du vent paraissait s’amenuiser.
Subitement tout devint silencieux ; j’eus le sentiment de sombrer au fond de l’eau.
Quand je rouvris les yeux, il y avait enfin une faible lueur à la fenêtre.
Mais je me rendormis.
Je réfléchis tout en dormant.
Il était certain que le lieutenant et le cadavre n’étaient autres que des rêves. Le cadavre était donc le rêve de ma femme, et le lieutenant mon propre rêve. Mais qu’en était-il de Kimura ?
Dans ce salon d’un restaurant sombre avec jardin, où ils étaient tous trois, avec le lieutenant et la geisha, que s’était-il passé ?
Et alors que j’essayais de réfléchir, il ne faisait aucun doute que Kimura avait été assassiné par le lieutenant.
Et si c’était le cas, évidemment, qui avait donc rêvé cette suite ?
Et puis, après tout, moi-même n’avais-je pas été assassiné tout d’abord au milieu du rêve de quelqu’un d’autre ?
Mais cela, je ne pouvais pas le savoir.
Ma femme n’avait pas parlé d’odeur putride.
Et alors que j’essayais de réfléchir, il ne pouvait s’agir de cette main. Quelle main était-ce donc ?
La droite, la droite. Si l’on ne dressait que des mains droites, uniformément, au-dessus de la grille de Kudanzaka, ce serait si splendide !
Elles bougent du poignet jusqu’au bout des doigts.
Elles bougent, c’est embêtant. Il ne faut pas que ce soit sinistre.
Les soldats exécutent un salut.
S’il en est ainsi, ça n’a pas d’importance.
Puis le fil de ma pensée s’arrêta. Soulagé, je m’endormis à poings fermés.

mercredi 28 septembre 2011

Yūshūkan (遊就館)4



Toute la nuit le vent fit rage. Le bruit, comme si on frappait les cadres des fenêtres, ne cessait pas.
Tout en me sentant par intermittence menacé par ce bruit, je continuais de sommeiller à demi.
Subitement, je fus réveillé en entendant filtrer par la bouche de ma femme comme un sanglot animal. Tandis que ses paupières frémissait, de l’espace de sa bouche entrouverte se faisait entendre par bribes un son malsain.
Perdant contenance, j’entrepris de réveiller ma femme.
À deux, trois reprises, j’appelais : « Hé, hé ! ».
Ma femme semblait me répondre à travers cette voix animale.
Je m’affolais de plus en plus, et voulut lui faire ouvrir les yeux. J’allongeai une main et secouai son épaule.
À cet instant précis, elle poussa un cri de frayeur d’une voix d’outre-tombe et ouvrit les yeux.
« Qu’est-ce que j’ai eu peur… »
Ma femme, tout en disant cela, poussa un profond soupir et se mit à trembler de tout ses membres.
« Qu’y a-t-il ? », lui demandai-je. Moi aussi, mon corps tout entier semblait frissonner de peur.
« Ce rêve était trop effrayant, je ne supporterai d’en parler. »
« Ce genre de mauvais rêves, il vaut bien mieux finir par les raconter, voyons ».
« Mais c’était vraiment trop bizarre. On avait couché un cadavre à côté de moi. »
« Le cadavre de qui ? »
« Ça, je n’en sais rien. Je n’ai pas reconnu son visage, ni rien, mais c’était un cadavre imposant. »
« C’était ça, ton cauchemar ? »
« Non, pas seulement, après un moment, c’est devenu horrible ».
Elle frottait son visage du plat de ses mains.
« Après un moment, le cadavre a semblé bougé légèrement. On aurait dit qu’il se tournait vers moi. Puis alors que je le regardais, il s'est mis progressivement à remuer, et comme il allongeait sa main vers moi, j’ai eu peur et me suis sentie oppressée, et ce doit être à ce moment là que j’ai crié. »
« Mais si c’est ça, pourquoi as-tu crié ? »
Alors que je l’écoutai, je me sentis soudain mal à l’aise.
« Hé bien, je pensais fuir, et je me tordais sur moi-même, mais mon corps ne bougeait pas, et c’est donc pour ça que j’ai crié de toutes mes forces. Ce faisant, le cadavre commençait à se relever, et à se pencher vers moi, puis il a allongé sa main, c’était l’horreur. »
« Que se passait-il ? »
« Quand j’ai compris qu’il saisissait mon épaule, j’ai crié au même moment, et puis mes yeux sont ouverts, et voilà. »
Ma femme, d’un air soulagé, se releva légèrement. Incidemment, elle regarda mon visage et, choquée, me dit :
« Mais, tu es tout pâle. Que t’arrive-t-il ? »

lundi 26 septembre 2011

Yūshūkan (遊就館)3-2



Puis, soudain, le lieutenant arrêta de danser, et s’assit devant moi. Il étendit ses mains jaunes, faisant mime de me saisir le cou.
« Enfin, enfin… », dit la geisha, et elle repoussa ces mains.  « Konririyūnikikurage , rentaiki ha hashigodan, oyoshinasai yo »
En disant cela, elle prit une pose théâtrale, mais je n'y compris rien.
Ensuite, je bus, je ne me souvenais plus combien de verres. Au fond du jardin sombre, apparaissaient ci et là de petites lueurs vives.
La geisha semblait devenir de plus en plus belle. Mais quand je la vis se lever, elle me parut étrangement grande, et ses cheveux semblaient toucher le plafond.
Kimura, qui depuis tout à l’heure était resté assis, courba la tête et s’affala sur le sol.
« Hé, hé ! » appela soudain le lieutenant d’une voix effroyable. Les épaules de Kimura tremblaient convulsivement.
« Hé, hé ! » dit à nouveau le lieutenant.
Kimura se redressa raide comme un bâton. Son visage était livide.
Le lieutenant se tourna tout à coup vers moi.
« Professeur », dit-il. « Je viens vous accueillir ».
La geisha se leva précipitamment. Puis elle agrippa mon épaule et m’entraîna hors du salon.
La voiture dans laquelle on me fit monter roulait au-dessus d’une rivière sombre. Sur l’eau noirâtre, ça et là, de toutes parts, apparaissaient de petites lueurs vives pour disparaître aussitôt.

mercredi 31 août 2011

Gabadon! - ガヴァドン!


Parmi le peu de Ultraman réalisés par Jissôji Akio que j'ai eu la chance de regarder, un m'a particulièrement marquée - et pour cause : il met en scène un kaijû qui, dessiné par un enfant sur un gros tuyau en béton, se matérialise et terrorrise la ville... ou pas. Il s'agit en effet d'un triangle tout bête avec un oeil, qui devient en trois dimensions une sorte de dauphin blanc lourdeau, somnolent et mal dégrossi dont le charme des couinements n'a d'égal que celui de sa plainte d'éléphant baryton qui suit juste derrière. Petit résumé succinct de l'épisode en images.




Dessin de Gabadon par Jissôji lui-même (vendu sous forme de carte postale au musée de Kawasaki)



Le bonus étant cette photo trouvée par hasard, provenant d'un salon de thé malheureusement non identifié - Gabadon fait wagashi, fourré au haricots rouges !